Football et Capital Actionnaire
En France, le phénomène du foot-business est sous-surveillance. Contre l’essence du sport, contre les supporters, contre le projet sportif et le « beau jeu », survalorisant les joueurs mercenaires, transformant des enceintes centenaires en supermarché du sport, il est peu dire que la marchandisation du football a mauvaise presse. La faute à un rapport ambigu avec l’argent, une culture football moins développée que dans le reste de l’Europe mais aussi à une gestion plus équilibrée des finances de nos clubs. Manchester et le Barça le prouvent à chaque budget : difficile d’arriver au sommet de l’Europe sans une dette qui devrait leur valoir un CCC chez Moody’s.
Pourtant cette page du football français de club semble prête à enfin être tournée. Et c’est peut-être une bien meilleure nouvelle qu’on ne le pense. L’actionnariat des clubs de football a déjà connu une révolution chez nos voisins européens. L’Angleterre, terre d’accueil des supers-riches en manque de divertissements, de courses de chevaux et d’athlètes du ballon rond voit son filon de clubs renommés peu à peu s’épuiser pour les actionnaires étrangers. Le rachat de Manchester City par le désormais fameux Cheick Mansour sera un jour probablement considéré comme l’apogée de la période de ces rachats, mais aussi le début de la fin. Après s’être tourné vers l’Espagne (Malaga), les pétrodollars du Golfe ont décidé de s’installer dans la ville lumière. Pour seulement 70 millions d’euros, le QIA (Qatar Investment Authority) vient de racheter le Paris-Saint-Germain, un club dont le potentiel économique fait bien plus consensus que la valeur sportive de ses derniers gardiens de but.
Mais l’on aurait tort de penser que seuls les actionnaires étrangers s’intéressent au potentiel aujourd’hui inexploité de nos clubs. Un concurrent du PSG, en L1 cette année, doit tout ou presque à son capital actionnaire, qui a véritablement démultiplié sa valeur sportive. Il s’agit d’Evian Thonon Gaillard, dont le seul nom résume la complexe histoire. Fusion des deux clubs historiques de Haute-Savoie, le Club Sporting de Thonon (1909) et le FC Gaillard (1924), le Football Croix de Savoie 74 voit le jour en 2003. Habitué à des yo-yo entre national et CFA, celui-ci connait la condition difficile des clubs mi-pro mi-amateurs, au public dilettante voire peu concerné (dû au déficit de culture football en France malgré le sursaut de 1998). Pourtant en 2006, les dirigeants vont faire une rencontre qui va changer le destin du club.
Le groupe Danone, et notamment une de ses plus belles marques, Evian, est très implanté dans la région. Convaincu par le volontarisme de ses dirigeants, le PDG Franck Riboud accepte de rentrer dans l’aventure, à condition que le club se rapproche de son bastion Haut-Savoyard, Evian. Le FC Savoie 74 devient alors Evian Thonon Gaillard. Cela tombe plutôt bien, le groupe Danone, dont le positionnement santé est reconnu et valorisé, soutient et organise depuis plusieurs années des initiatives comme la Danone nations Cup, compétition internationale de football des 10-12 ans, dont Zinedine Zidane est le partenaire. Le rachat d’un club professionnel serait l’occasion de passer un palier supplémentaire en termes de communication sportive. C’est ce qu’il advient en 2009, quand le groupe devient une SASP (Société anonyme sportive professionnelle) dont Danone est le principal partenaire (capital partenaire). Mais ce qui va fait la force du club à partir de cette date, c’est bien son capital actionnaire : Franck Riboud est assurément un homme écouté.
Zinedine Zidane et Bixente Lizarazu participent à l’augmentation de capital du club et intègrent le projet. Ici, contrairement à l’investissement qatari du PSG, ce n’est pas forcément les fonds qui font la différence, bien que facteurs de stabilité. C’est l’aura et l’expérience de ces deux joueurs, conjugués à ceux de Danone, qui vont naturellement et spontanément développer la structure sportive. Imaginons un recruteur qui se rend en Afrique ou en Asie recruter les pépites de demain et les convaincre de rejoindre le centre de formation de l’ETGFC. Evidemment, la renommée de ses deux actionnaires ne manquera pas d’être mise en avant. D’autre part, un actionnaire/partenaire comme Danone, c’est l’assurance pour les autres sponsors d’adhérer à un projet solide, pour le public de voir arriver des joueurs de plus en plus renommés (aujourd’hui Sidney Govou et Jérôme Leroy), pour les joueurs de travailler dans un environnement stable et de « gagner des titres ». Ou comment un capital immatériel peut diffuser sa croissance à l’ensemble de l’entreprise et agir comme un levier de développement. Aujourd’hui, le centre de formation est bien en place et un stade dimensionné est en préparation.
Pour un club de football, dans un milieu qui a vu tomber de nombreux fleurons parce que leurs dirigeants n’étaient pas à la hauteur (Strasbourg, Nantes et même Monaco), le capital actionnaire est crucial. Et contrairement aux idées reçues, une politique fondée sur d’autres valeurs que l’argent peut se révéler efficace. Evian Thonon Gaillard jouait en CFA en 2008. Elle a donc connu 3 montées en 4 ans. Le budget est passé en 4 ans de 5 à 25 millions, sans commune mesure avec les flambées britanniques. Le foot-business, ce n’est donc pas que des stars payées plusieurs dizaines de millions d’euros par ans pour porter une marque de chaussure. C’est aussi la démonstration que les méthodes d’investissement issues de l’entreprise, que la gestion rigoureuse de tous les leviers de croissance du club (matériels et surtout, on l’a vu, immatériels) peuvent s’avérer payantes dans le sport.