Perspectives
by Akoya30 septembre 2011
La France, c’est l’avant-garde !
Comme certains d’entre vous le savent, notre cabinet a récemment beaucoup évolué dans le monde des industries créatives, et bien sûr de leurs actifs immatériels.
Or s’il est une chose qui est revenue fréquemment lors de notre étude, c’est l’existence mythique et polémique d’une French Touch. Certains y voient un fait avéré dans le domaine de la création (de l’architecture aux jeux vidéo en passant par le design), quand d’autres dénoncent une chimère, une douce illusion dont se bercent les Français.
Il est vrai que cette notion de French Touch est particulièrement délicate à définir dans un contexte globalisé : est-ce l’entreprise, le créateur ou l’esprit qui prime ? Food for thought :
- LaCie fait designer ses disques durs par des créateurs étrangers
- Les chanteurs de l’Eurovision ne sont parfois pas Français, ou ne chantent pas systématiquement dans la langue de Molière
- Un jeu vidéo comme Heavy Rain (une des meilleures ventes 2010), créé par le studio français Quantic Dream, fait beaucoup plus référence aux Etats-Unis par la narration, les lieux et la culture qu’à la France
Par ailleurs, un expert – Me Henri Leben à qui je rends hommage – d’un atelier que nous avions organisé nous faisait la remarque qu’aucun qualificatif n’était attribuable à la France : les produits allemands sont robustes, les produits japonais sont technologiques… mais quid des produits – et des services ! – français ?
Et si l’expression que nous recherchions était « avant-gardiste » ?
Explications : loin d’être un spécialiste du marketing ou de la communication, je trouve que cette terminologie reflète assez bien la production française, dans ses travers comme dans ses instants de grâce. En effet, quels sont les poncifs dont on nous affuble ?
Premièrement, d’être un pays tourné vers son passé, qui vit sur une splendeur révolue et dont l’arrogance de son peuple ne suffit pas à cacher sa déshérence progressive. Mais paradoxalement, la France est encore synonyme de mode, de bon goût, de gastronomie, et d’héritage artistique prestigieux.
Deuxièmement, d’être un pays d’ingénieurs qui privilégient la qualité du produit aux préoccupations des consommateurs. Avec pour exemple perpétuel le Rafale, fleuron de l’aviation mondiale mais difficile à vendre. Mais j’aurais aussi pu évoquer le mal français d’avoir raison trop tôt : le Minitel, la téléphonie mobile, le WAP… c’est comme si la France était tout à fait capable d’innover, mais pêchait au moment de la mise sur le marché et de la phase d’industrialisation.
Enfin, la France est également la patrie du luxe. Parlons différences culturelles : un restaurateur américain qui connaît le succès aura tôt fait de transformer son enseigne en chaîne, et développera une image de marque basée sur la constance et la réplicabilité du savoir-faire. A l’opposé de la conception française, qui capitalisera tout sur le créateur, et sur l’unicité du lieu. Ce qui justifiera une tarification plus élevée, car somme toute, il s’agit d’une expérience exclusive. Et cela est généralisable à tous les secteurs. D’un côté le volume, de l’autre la marge ; l’accessibilité, opposée à l’exclusivité.
Revenons à l’avant-garde : le Larousse nous dit qu’il s’agit d’un groupe ou d’un mouvement novateur dans le domaine intellectuel, technique, artistique, etc. Quant à l’Avant-garde (avec un grand A), il s’agit d’un mouvement artistique de la Belle Epoque dans lequel on peut inscrire le Dadaïsme, l’impressionisme, le situationnisme… Des courants prestigieux aujourd’hui, mais incompris en leur temps… Vous devez commencer à voir où je veux en venir.
Le terme d’avant-gardiste fait donc directement référence à une période prestigieuse de notre histoire artistique… ou comment tourner notre passéisme en fierté. D’autre part dans un contexte technologique, que sont les early adopters d’aujourd’hui, sinon des avant-gardistes ? Etre un early adopter confère une certaine aura d’exclusivité : « j’ai un produit que personne n’a, et généralement j’aime l’exhiber. Ca peut passer pour de l’arrogance, mais avouez-le : au fond vous êtes un peu jaloux. »
L’avant-garde est donc à l’image de la France : un peu prétentieuse mais distinguée, patrimoniale mais aussi capable d’innover, parfois incomprise mais souvent respectée a posteriori. Tout l’art de tourner ses défaut en qualités…
Quels adjectifs correspondraient le mieux à la France, d’après vous ?