La guerre du contenu illimité
Hier, nous avons enfin appris quel était le nom du futur service de vidéo à la demande d’Allociné. Baptisé iCinéma (haaa, ça sent le courrier recommandé en provenance de Cupertino), celui-ci a pour vocation d’être une extension logique du site web. Ce dernier étant déjà la référence française en matière de cinéma, tant par la base de données que par la communauté, proposer du contenu semblait aller de soi. Moyennant un abonnement mensuel, vous aurez donc accès à un vaste catalogue de films et de séries. Exactement comme Netflix, qui propose ce service depuis des années.
Vous avez bien lu : des années. Au pays de l’illimité, il est quand même particulièrement surprenant que les cinéphiles aient dû attendre si longtemps pour que les acteurs français se réveillent, à l’instar de Canal qui va enfin proposer son propre service CanalPlay Infinity.
Quoiqu’il en soit, cette floraison de l’offre illustre une tendance majeure : aux yeux du consommateur, il va devenir très difficile de proposer autre chose que de l’illimité via un abonnement. Et ce, quelque soit le service.
Les entreprises de l’illimité
La plus célèbre vallée de Californie n’a plus de siliconée que le nom. Aujourd’hui, les grands acteurs sont essentiellement tournés vers le web et le contenu. Cela est vrai de Google bien sûr (Search, Books, News, Youtube…), mais aussi maintenant de Facebook : en proposant aux utilisateurs de jouer, de partager des articles, et maintenant d’écouter de la musique, gageons que vous allez prochainement passer plus de 16% de votre temps sur le réseau social… En résumé, le hardware est mort, vive le contenu. L’innovation ne passe plus par du bricolage dans les garages, mais par du codage dans les dorms des campus.
Jusque là, rien que l’on ne savait déjà. Mais ce qui est intéressant, c’est de voir la prolifération des offres au forfait plutôt qu’à l’usage :
Quelques exemples :
- Vidéo : Netflix
- Musique : Deezer, Spotify
- Internet, TV, téléphonie : Free
- Livres : Amazon (peut-être prochainement ?)
Et après tout, pourquoi ne pas imaginer à terme la même chose avec les jeux vidéo via des plateformes comme Steam ou OnLive…
Mon interrogation est la suivante : d’où provient cette culture de l’illimité, et l’illimité n’est-il pas justement une question de culture ?
Une affaire de Culture…
Si les exemples précédents concernent essentiellement des biens culturels, l’offre à l’abonnement n’est pas vraiment chose nouvelle dans ce domaine : vos abonnements à Canal+, à l’opéra ou à la bibliothèque n’en sont pas si éloignés ! Il ne s’agit finalement que du prolongement moderne de ce qui existait déjà, et permis aujourd’hui par la dématérialisation des contenus. On constate d’ailleurs un retour en flèche du subscription-based à tous les étages (voir notre article à ce sujet), et c’est tant mieux pour tout le monde. Tant mieux pour les consommateurs qui voient les offres s’étoffer et se diversifier, et tant mieux pour les entreprises qui enregistrent des revenus récurrents, le Graal de tout entrepreneur.
Alors, la vente à l’unité est-elle condamnée à disparaître ? Pas si sûr. Tout d’abord parce que je le disais, l’illimité est une conception européenne mais pas nécessairement anglo-saxonne. En effet, pour pouvoir proposer un service ou un contenu de manière illimité, il faut le mutualiser et le moyenner. Un peu comme dans un restaurant chinois à volonté : certaines personnes commanderont beaucoup plus que la moyenne rentable pour le restaurateur. A contrario, certaines personnes commanderont moins, et paieront pour les gros consommateurs.
Or quiconque ayant passé suffisamment de temps dans un pays anglo-saxon s’est forcément aperçu d’une chose : on ne partage que très peu avec les autres, et l’on ne paye que ce que l’on consomme. Cela est vrai de la sécurité sociale, des impôts, de l’éducation, des réseaux téléphoniques et internet, et même des frais bancaires. Après tout, pourquoi payer pour les autres quand on n’est jamais malade, que l’on a pas d’enfants et que l’on utilise peu son forfait Internet ? A l’opposé de la mentalité française où les valeurs « mutualistes » sont plus fortes. Ce qui s’est traduit en France par l’apparition des box : l’écart de l’offre de service entre la France et les Etats-Unis est aujourd’hui encore frappant, tant les FAI américains semblent à la traîne. Et aujourd’hui, l’avant-garde dans la musique est portée par Spotify (Suède) et Deezer (France), ce qui n’est sans doute pas un hasard.
Et des limitations physiques…
Mais, allez-vous m’opposer, Netflix est américain. C’est vrai. Mais il fait encore figure d’exception. De plus, contrairement à un bien physique ou à une bande passante qui sont finis, un bien culturel dématérialisé est réplicable à l’infini pour un coût nul. Et c’est justement là que le bât blesse.
Netflix est responsable de 30% de l’utilisation de la bande passante aux US, par son côté illimité justement. Et des services comme Spotify sont également très consommateurs. L’avenir de l’illimité passe donc par la condition sine qua non que les infrastructures évoluent au même rythme que les usages, sans quoi les gros consommateurs, tant du côté utilisateur que diffuseur, seront taxés… et cela sera probablement la fin de l’illimité – voire du Web – tel que nous le connaissons.
Et vous, quels biens, services ou contenus consommez-vous sous forme d’abonnement ?