« You’re not the customer, you’re the product »
L’autre jour, au hasard de mes pérégrinations sur Twitter, je suis tombé sur le tweet ci-dessous, qui prend un écho tout particulier aujourd’hui à l’heure où Facebook perd des utilisateurs aux Etats-Unis :
Cette remarque pourrait paraître étrange pour quiconque n’y a pas consacré un peu de réflexion, ou évidente pour les spécialistes. Toutefois, elle est souvent au coeur des prestations de notre cabinet, et mérite que l’on s’y attarde quelques instants dans ce billet.
Qu’est-ce qu’un client ?
Prenons l’exemple de Facebook. La principale fonction du site est de permettre aux utilisateurs (vous et moi) de dématérialiser leur réseau social, et de partager du contenu avec leurs relations. Et ce, gratuitement… Manifestement, Facebook s’adresse au grand public, et l’on pourrait presque croire à un service B2C. Vision complètement erronée de l’entreprise de Mark Zuckerberg ! Ce qui est trompeur, c’est bien le fait que ce n’est pas l’utilisateur qui est le client. Pour comprendre cela, il faut en effet revenir à la définition même d’un client.
Au sens où nous l’entendons, un client est un actif, incorporel (ou immatériel) de surcroît car l’entreprise ne le « possède » pas. Ce qui le distingue des autres actifs de l’entreprises -matériels comme immatériels – est qu’il est générateur de cash. Au contraire des autres actifs de l’entreprise, les clients sont la source des flux de trésorerie de la société et permettent l’existence de celle-ci. Ainsi, pour connaître les clients d’une société, il faut trouver les payeurs. A nouveau, cette assertion peut sembler triviale mais peut être délicate dans la pratique avec la variété des business models.
Reprenons Facebook : les utilisateurs ne sont pas originellement les payeurs. En revanche, par sa capacité à capter un trafic considérable, le site attire les annonceurs qui vont louer un espace publicitaire payant, dans l’espoir d’être vus par une partie de ce trafic. Ce modèle gratuit et rémunéré par la publicité a été largement popularisé par Google, qui a fait la preuve de sa viabilité. De nombreuses études existent à ce sujet, et je ne m’étendrai pas plus sur la question. L’important est de retenir que Facebook n’est pas un site qui met à disposition des outils de partage de contenu : c’est une régie publicitaire qui « fournit » des internautes aux annonceurs. Et vous êtes donc bien le produit.
Advertising-supported software, Freemium, business models hybrides B2B/B2C…
Abordons à présent l’aspect un peu plus technique : pourquoi est-ce si important que cela de trouver les clients ? Dans notre métier d’évaluateur, nous sommes régulièrement confrontés à des business models innovants ou atypiques que nous devons valoriser financièrement. Cela vient bien évidemment du fait que notre cabinet travaille avant tout avec des startups high tech et les industries culturelles et créatives. Toutefois, pour mener à bien notre prestation, il nous est indispensable de connaître l’origine des cash flows de la société pour pouvoir apprécier leur qualité et alimenter nos modèles. Cela nécessite une connaissance poussée de la chaîne de valeur de la société.
Or, force est de constater que la tertiarisation et la dématérialisation de notre économie ont apporté leur lot de nouveaux modèles économiques, rendant parfois la valorisation complexe. Le freemium par exemple, propose un service gratuit, parfois (mais pas toujours !) rémunéré par la publicité, et un service premium payant proposant des fonctionnalités supplémentaires. De Spotify à Viadeo en passant par Zynga, ce modèle tend à afficher une viabilité et une croissance exceptionnelle dans tous les domaines -musique, réseaux sociaux, jeux vidéo – car la source des revenus est loin d’être unique, entre les annonceurs, les utilisateurs payants… voire des clients B2B quand la société met son savoir-faire à disposition d’autres entreprises en prestation de service ! Autant d’éléments à bien définir lors d’une due diligence.
La création de contenu, et l’innovation de service au coeur des préoccupations ?
L’exemple de Facebook tout à l’heure était simple : un peu à la manière d’un riverain d’une route très fréquentée, je décide de mettre un panneau publicitaire qui sera vu par un nombre mesurable d’automobilistes. La différence tient à la maîtrise du trafic.
Dans le cas du panneau publicitaire, le riverain n’a aucun levier d’action pour augmenter le passage devant chez lui. Il ne choisit pas non plus la nature du trafic (familles en vacances, cadres se rendant au travail, chauffeurs routiers…). Il ne fait que tirer partie d’un atout géographique, ce que nous définissons par capital environnemental.
Dans le cas du site web, je peux influer ET sur le volume, par la qualité du service que je propose, ET sur la qualification des visiteurs par le type de contenu que je créé. Mais cet avantage n’est pas l’apanage des sociétés du Web : les journaux gratuits, la radio et la télévision l’exploitent depuis toujours !
En effet, la principale différence entre une série de télévision et un film de cinéma est là. Dans un cas, le produit permet à la chaîne de télévision de capter une audience qui est revendue à des annonceurs, qui sont de facto les clients. Dans l’autre, je m’adresse directement aux spectateurs moyennant une contribution (le billet d’entrée), faisant d’eux les clients. La conception même de ces deux produits culturels est ainsi différente. La série visera la ménagère consommatrice quand le film cherchera le public au sens large. Tout le monde se remémore la phrase de Patrick Le Lay, expliquant que le métier de TF1 est de « vendre du temps de cerveau disponible ». Si la formule a tant choqué à l’époque, c’est probablement en raison de son cynisme certes, mais surtout de sa véracité…
Intervient alors la notion de responsabilité : celle de fournir des services toujours plus innovants aux utilisateurs, et du contenu d’une qualité en amélioration constante. Mais c’est là un autre débat dans lequel que je ne m’aventurerai pas !
Note : Merci Stéphane pour ton tweet qui me sert de point de départ 😉