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Chroniques du Big Data sur le front de l’emploi

Toutes les mutations technologiques éveillent notre curiosité. Mais il en est une qui nous passionne particulièrement chez AKOYA : l’émergence du Big Data. Après avoir exploré les changements que cette technologie allait apporter au sein des Directions des Ressources Humaines, (retrouvez ici notre livre blanc et le compte-rendu de l’événement dédié) nous vous proposons de prendre encore un peu plus de recul, et d’analyser de manière plus globale l’impact du Big Data sur le Capital Humain de la Société. Quelles sont les nouvelles – bonnes ou mauvaises – apportées par le Big Data sur le front de l’emploi ? Nous envisagerons ainsi quatre phénomènes qui nous paraissent clés dans cette révolution : les gains de productivité, la création d’un écosystème dédié, le besoin de profils atypiques et enfin le transfert de populations.

Les « gains de productivité »

Commençons par manger notre pain noir au rayon des mauvaises nouvelles. Paradoxalement, pour votre quotidien et celui de nombre d’entreprises ce sont plutôt de bonnes, voire d’excellentes nouvelles. La démultiplication des capacités d’analyse automatisée de données de plus en plus variées va accélérer, faciliter et même améliorer un certain nombre de processus qui demandent encore aujourd’hui une intervention humaine significative. La vraie nouveauté est que cette phase d’automatisation va frapper de plein fouet un certain nombre de professions intellectuelles, au sein de l’entreprise mais également en dehors. Prenons deux illustrations du quotidien touchant directement les particuliers : le diagnostic médical et l’analyse juridique. Aujourd’hui, pour disposer de chacune de ces expertises, il vous est nécessaire de faire appel à un spécialiste. Le médecin ou l’avocat va alors prendre connaissance de votre situation, se plonger dans sa connaissance propre, potentiellement compléter par des recherches dans la littérature appropriée pour enfin vous proposer son analyse. La profondeur de cette dernière sera malheureusement circonscrite à l’étendue de sa capacité de recherche et aux cas qu’il a précédemment rencontrés.

C’est là que le Big Data va venir tout bouleverser. Grâce à l’analyse immédiate d’une quasi-infinité de pathologies ou de cas juridiques similaires à travers le monde – sous réserve de lui poser la bonne question et de lui fournir les bonnes données d’entrée – une machine pourra désormais vous indiquer le diagnostic le plus probable ou la stratégie juridique ayant statistiquement le plus de chances de se révéler gagnante. Vous gagnez en volume de références comparées, en rapidité d’exécution et, pour couronner le tout, en coût marginal de la prestation. Nous devons nous attendre à ce que l’impitoyable loi du marché contraigne ces deux professions à repositionner leurs interventions sur des activités où leur valeur ajoutée ne sera pas mise en péril. Mais, si un avocat en libéral peut tout à fait faire le choix de se concentrer sur les plaidoiries, toutes les équipes chargées de l’analyse de données en entreprise (ex : Marketing, Contrôle de Gestion) n’auront pas la même liberté. De nombreuses suppressions de postes sont ainsi à prévoir au sein des entreprises qui vont s’empresser de profiter de ces nouveaux outils pour réaliser des « gains de productivité » au sein de leur masse salariale.

 

La création d’un écosystème dédié

Cela étant dit, il serait bien naïf de penser que le Big Data va se déployer de lui-même. Comme nous avons commencé à le percevoir, la mise en place de tels systèmes va nécessiter l’intervention de multiples acteurs et ce, à plusieurs niveaux.

A commencer par les producteurs d’outils permettant de gérer le Big Data. Les systèmes actuellement en place sont insuffisants pour gérer des données issues de multiples sources, sous de multiples formes, dans des volumes considérables et, qui plus est, en temps réel. Avec de telles bases de données, la question de la visualisation devient également critique et suscite l’émergence d’entreprises spécialisées.

Une fois ces systèmes créés, il tombe sous le sens qu’il est nécessaire de les alimenter. La création de données, ou plutôt le maintien de la production de données exploitables est un autre domaine appelé à drainer de l’activité et donc des emplois. Certaines données sont produites « automatiquement » et en continu, par les réseaux sociaux par exemple. Mais disposer d’outils capables de gérer des big data va ouvrir le champ de la collecte d’une multitude de données dont les capteurs commencent à apparaître, notamment grâce aux objets connectés.

Enfin, disposant de toutes ces données alimentant des systèmes capables de les ingurgiter, il faudra apprendre à ne pas s’y perdre. Pour l’instant – avant le développement massif de l’intelligence artificielle – un système n’est encore capable de répondre qu’aux questions que l’on veut bien lui poser. Il va donc falloir que les entreprises se posent la question de ce qu’elles vont chercher dans le Big Data, et de ce qu’elles peuvent, raisonnablement, y trouver. De nouveaux métiers qui n’existaient pas il y a encore 5 ans vont ainsi faire leur apparition en entreprise. Il suffit de jeter un œil à la tendance des recherches Google pour les termes « Data Scientist » pour s’en convaincre.

Trend Data Scientist

Mais avant que ces compétences ne soient intégrées par les entreprises, nous assistons à l’émergence d’acteurs spécialisés dans l’accompagnement des entreprises dans leur démarche de Big Data. Citons deux exemples dans le domaine du marketing M13h et Augusta Consulting – choisis purement arbitrairement parmi les amis d’AKOYA.

Comme les systèmes d’informations en leur temps, la tendance du Big Data est en train d’aboutir à la création de tout un écosystème dédié. Nous entamons ainsi la partie « bonnes nouvelles » !

 

Le besoin de profils atypiques

Une des applications les plus passionnantes du Big Data réside dans le domaine prédictif. Plutôt que de poser des hypothèses bancales « à dire d’expert » il va désormais être possible de construire des scénarios sur la base de l’analyse de quantités phénoménales de données réelles. Aux pilotes nyctalopes qui conduisaient leur entreprise au moyen de simples feux de position, le Big Data va offrir de puissants phares. Mais soyons vigilants, aussi éclairants que soient les phares, ils ne permettent pas d’anticiper la sortie d’une épingle à cheveux. Ils pourraient même avoir une tendance à affaiblir notre vigilance par l’accroissement de notre sentiment de sécurité. Quelques soient les analyses produites par le Big Data, elles le seront sur la base de données réelles, et donc passées.

Prendre en compte l’ensemble des données disponibles, et donc des points de vue, peut par ailleurs présenter le risque d’aboutir à une sorte de consensus mou manquant d’ambition. Fort de sa base d’utilisateurs, Netflix utilise par exemple la synthèse de leurs goûts et de leurs attentes pour bâtir ses futures séries. Celles-ci vont certes plaire au public, c’est ainsi qu’elles ont été pensées, mais feront-elles de Netflix un acteur reconnu de la création cinématographique sur le long terme ? Rien n’est moins sûr.

On peut en effet douter de la capacité disruptive procurée par l’analyse de données passées. Et ce n’est pas un débat né d’hier. Rappelons-nous la formule d’Henry Ford : « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides ». Sous peine d’un alignement infertile, l’entreprise de demain devra disposer de profils atypiques capables de penser en dehors des chiffres et des analyses qui leurs seront délivrés par le Big Data. Les manageurs et décideurs actuels vont donc devoir apprendre, si l’organisation leur en laisse la possibilité, à développer leur capacité de disruption, leur aptitude à développer une pensée orthogonale, somme toute à renforcer leur courage. Mais est-il seulement possible d’apprendre à oser… ?

 

Les transferts de compétences

Enfin, et sans tomber dans le piège de l’adage de comptoir qui voudrait qu’ « à toute chose malheur est bon » ni rentrer dans des considérations schumpétériennes de destruction créatrice, force est de constater que certaines évolutions majeures de marché peuvent donner lieu à des phénomènes inattendus comme des transferts massifs de compétences. Ainsi présentée, la notion est un peu abstraite.

Prenons donc l’exemple de l’Islande qui nous fournit un intéressant cas d’étude. Avant la crise de 2008, le secteur financier islandais concentrait l’essentiel des compétences du pays en matière de nouvelles technologies. Avec la décision du peuple islandais de laisser les banques faire faillite, ce sont autant de compétences qui se sont retrouvées sur le marché du travail et se sont reportées du secteur financier au secteur High Tech. L’Islande a ainsi pu développer tout un nouveau pan de son économie, certainement plus en phase avec les enjeux actuels et futurs, comme en témoignait en 2013 le président islandais Olfaur Ragnar Grimsson au forum de Davos.

 

Dans un contexte de déploiement massif du Big Data, on pourrait par exemple imaginer une forte diminution de l’attractivité des professions marketing de la Grande Consommation. Il sera peut-être moins « sexy » pour les jeunes diplômés de faire du Marketing pour L’oréal ou Unilever. Ces talents pourraient alors être amenés à se reporter vers d’autres secteurs de l’économie. Le Roland Berger Institute suggère par exemple celui de l’environnement et de sa protection, domaine dont la déconnexion entre l’urgence et sa perception par le grand public semble cruellement manquer de compétences Marketing…

 

Mais alors, que faire en première ligne ?

Les grandes avancées technologiques ont profondément modifié l’organisation de l’emploi dans nos Société et le Big Data ne fait pas exception à cette règle. Les universités et écoles ont d’ailleurs commencé à prendre conscience de ce défi par la création de parcours dédiés.

Au-delà des premières pistes de réflexion qualitatives, charge maintenant aux Directions des Ressources Humaines de chaque entreprise d’évaluer l’étendue quantitative des mutations qu’elles vont devoir opérer par rapport à leur contexte.

Mais les DRH ne sont pas les seuls concernés. L’Etat a son rôle à jouer dans l’accompagnement de cette transformation. D’autant plus que la France a une véritable carte à jouer en la matière. Si trois profils devaient se dégager comme grands vainqueurs de cette mutation nous retiendrons : 1. Les ingénieurs qui vont mettre au point les systèmes et capteurs permettant de capturer la complexité du Big Data, 2. Des profils créatifs capables d’imaginer de nouveaux croisements de données aux limites du rationnel, et enfin 3. Des esprits rebelles capables, aussi, de s’affranchir de l’analyse chiffrée pour imposer leur opinion. Y a-t-il vraiment des français qui ne rentrent pas dans l’une de ces trois catégories ?