Faites vos bagages, mon boss est d’accord : on part vivre à la mer !
Il y 30 ans, Shenzhen était un petit port de pêche. Il y a 10 ans, cette ville du Sud de la Chine devenait un port de commerce au rayonnement national. Désormais, il y transite autant de porte-conteneurs qu’à Dubai et Tokyo réunis. Cette croissance fulgurante, certes portée par celle de la Chine, illustre l’un des impacts de la mondialisation sur les B-cities (ou villes secondaires en français) : la transformation d’une ville de province en une puissance commerciale mondiale.
Dans une moindre mesure, en France, des villes comme Bordeaux, Nantes ou encore Lille ont réussi à quitter avec succès leurs habits de villes provinciales pour endosser ceux de métropoles de rang européen. Si elles ne sont pas encore au niveau de leurs consœurs allemandes Munich ou Stuttgart, grandement favorisées par l’administration territoriale de l’Allemagne et ses « Länder », elles pourraient à terme en suivre la tendance.
Cependant, malgré les nouveaux moyens de communication, la digitalisation de l’entreprise (on vous en parlait là) et dans une moindre mesure la mondialisation, on n’a pas encore eu d’exode massif vers la plage et la montagne, ni encore véritablement vers les villes de province ou B-cities. Ces villes présentant un cadre de vie que beaucoup préfèrent à celui de Paris, comment expliquer cette absence de migration massive ? Tous les métiers/secteurs d’activité sont-ils possible à délocaliser ? Ce phénomène est-il amené à s’amplifier ?
3 forces favorisant la délocalisation des travailleurs et des entreprises
Actuellement, il semble que toutes les conditions soient réunies pour assister à un exode massif des salariés et des entreprises.
Grâce au développement des technologies il est désormais aisé de travailler à distance :
- Le partage de fichiers entre collaborateurs, qu’ils soient dans le même bureau ou de part et d’autre du globe, est immédiat via les solutions de Cloud ;
- L’organisation des réunions à distance devient un jeu d’enfant avec tous les outils de conférences call, visio-conférences, webinars… que l’on peut trouver sur le marché.
BT Group a été un peu plus loin en équipant une soixantaine de ses sites d’un dispositif, développé par Cisco, de TelePresence : on a presque l’impression d’être assis à la même table !
Tout comme Novo Nordisk qui a pour sa part développé différents médias pour faciliter la collaboration et le partage d’information à distance : NovoTube, Novopedia… Enfin, n’omettons pas le nombre croissant de smartphones en circulation : d’ici 2018, ils permettront à plus de 2,5 milliards de personnes d’être constamment connectées.
Autre phénomène, notre consommation énergétique ne cessant de croître, par le jeu de l’offre et de la demande, le coût du pétrole augmente (la situation actuelle avec un cours qui diminue n’est que transitoire). De plus, pour endiguer le réchauffement climatique les gouvernements prennent des mesures financières restrictives, notamment la taxe carbone en France. Mécaniquement, le coût du transport grimpe, travailler chez soi risque donc de devenir la solution la plus économique pour le salarié.
Enfin, loyers exorbitants faisant, les entreprises ne peuvent plus toujours s’offrir des locaux en plein cœur d’A-cities. Moins chers et souvent plus fonctionnels qu’à Paris, les immeubles de la proche banlieue attirent les entreprises et vident Paris de ses bureaux. Ainsi Montreuil, siège de la CGT et ville rouge par excellence, possède désormais une vitrine tertiaire avec des salariés de BNP Paribas côtoyant ceux d’Air France et de Nouvelles Frontières. 300€/m2/an à Montreuil contre parfois plus de 700€/m2/an dans le centre parisien, l’économie n’est pas moindre.
Pourquoi la délocalisation nous fait rêver ?
Succomber aux muses des B-cities
Interrogés par le CSA sur leur envie de quitter un jour l’Ile de France, 54% des Franciliens répondent par l’affirmative. 68% des candidats au départ sont motivés par la volonté de trouver un cadre de vie plus agréable. C’est la première des motivations citées, devant le coût de la vie (41%) et le « ras-le-bol » de l’agitation parisienne (38%). En province, on voit à contrario se développer des villes qui attirent et qui créent de l’emploi. Dans le classement des villes où il fait bon vivre publié par l’Express, Toulouse et Montpellier sont plébiscitées pour leur climat, Nantes et Rennes pour leur qualité de vie. Lyon est quant à elle un pôle d’excellence très bien desservi (aérien et ferroviaire) et doté d’un tissu économique dense. Le Grand Lyon a par exemple lancé en 2014 la marque Biodistrict Lyon-Gerland, regroupant des leaders mondiaux en sciences du vivant (Sanofi Pasteur, Merial, Biomerieux…). L’objectif est affiché : s’inscrire dans le top 10 mondial des territoires en pointe en matière de santé et des biotechnologies, devenir une Silicon Valley de la santé identifiée dans le monde entier au même titre que Boston ou Bâle. A Toulouse l’aéronautique est aussi pourvoyeur d’emplois, Paris n’apparait plus comme le seul centre attracteur de l’économie française, en ce sens 17 entreprises du CAC 40 ont leur siège en dehors de Paris.
Et pourquoi pas la plage ou la montagne ?
Ces destinations au cadre idyllique ne sont pas si folles. Pensons à Pentalog qui a initié le mouvement en proposant à ses salariés de travailler dans un château à proximité d’Orléans. Au vert, en extérieur, pas de bouchons, golf à proximité…avouons le, le cadre en fait rêver plus d’un. En ce qui concerne la plage et la montagne, l’optimisme est à modérer : le réseau ferroviaire/aérien français est à perfectionner afin de garantir un accès rapide à Paris ou tout du moins aux autres B-cities en cas de réunions/visites clients impromptues.
Les freins à la délocalisation des entreprises et des salariés
La délocalisation est donc possible, plébiscitée par une majorité de salariés qui souhaitent jouir d’un cadre de vie plus agréable mais encore relativement limitée par différents facteurs.
Tout comme le télétravail, certains métiers et secteurs d’activité sont plus propices à la délocalisation que d’autres, particulièrement ceux qui requièrent encore une forte interaction client. On peut penser aux métiers de la publicité, des médias, de la gestion de patrimoine… Par ailleurs, les PME souhaitent être proches de leurs clients donneurs d’ordre, souvent des grands comptes basés à Paris. Il n’est donc pas encore envisageable pour ces PME de s’installer dans une B-city comme Bordeaux, la desserte en train étant à parfaire.
Les entreprises craignent aussi souvent une perte de productivité des employés travaillant à distance. Ce frein est à lever, une étude démontre en effet que la productivité des télétravailleurs serait de 22% supérieure à celle des autres salariés en entreprise. La newsletter Remotive (contraction de Remote et Productive) nous livre même ses secrets pour augmenter la productivité des salariés travaillant de par le monde. Dans une interview accordée à Forbes, son fondateur Rodolphe Dutel nous apprend d’ailleurs que son employeur Buffer favorise le travail à distance et cela quel que soit le lieu : “Buffer, a company that is fully distributed and encourages employees to work from anywhere”.
Enfin, certains salariés souhaitent rester dans A-cities pour différentes raisons : réseau d’amis, propriétaire, adepte de l’émulation qui y règne, diversité des personnes rencontrées.
La délocalisation des entreprises et des salariés devrait s’accélérer dans les années à venir
Bien que rêvé par les salariés, financièrement avantageux et techniquement possible, l’exode vers les B-cities a été entravé par différents facteurs au cours des dernières années. Cependant, drivé par les jeunes cadres ce phénomène devrait prochainement s’intensifier. Afin de fuir l’agitation générale des A-cities cette tranche de la population opte de plus en plus pour la province. Véritable moteur de l’économie, elle devrait entrainer dans son sillage les entreprises et donc leurs salariés.
Délocalisation intensifiée des jeunes cadres
La courbe ci-dessous illustre l’impact de l’un des principaux facteurs de mobilité des individus, l’âge. L’intuition est vérifiée : plus une personne vieillit moins elle est mobile géographiquement.
Par ailleurs, les populations de jeunes cadres sont très prisées par les entreprises en croissance. Ils sont adaptables, relativement moins chers que leurs homologues plus seniors et comme on vient de le noter plus mobiles. Aux Etats Unis, ces cadres âgés entre 25 et 34 ans ont tendance à migrer vers les B-cities. Ainsi dans des villes comme Oklahoma City, Denver ou San Diego le nombre de jeunes cadres a respectivement augmenté de 57%, 47% et 43% entre 2000 et 2012. Ces 3 chiffres sont bien supérieurs au 25% d’augmentation qu’a connu New York, A-city connue de tous.
Les jeunes cadres participent à l’expansion économique
Une étude de 2011 menée aux Etats Unis, démontre qu’une augmentation de 1% de la population détenant un Bachelor permet d’augmenter le PIB d’une ville de 2,3%. L’éducation apparait comme LA clé pour générer des emplois et développer l’activité économique d’une ville et in extenso d’un pays.
Portée par les jeunes cadres, les B-cities croissent
De part cette participation active au développement de l’économie, les jeunes cadres permettent aux B-cities dans lesquelles ils migrent de croitre. Sur le graphique ci-dessous, on remarque ainsi que les villes précédemment citées (Oklahoma City, Denver et San Diego), portées par une population croissante de jeunes cadres, ont une croissance démographique plus forte que New York.
Portée par le nombre croissant de jeunes cadres optant pour les B-cities, la migration des travailleurs et des entreprises devraient donc s’intensifier dans les années à venir. Afin d’accroitre leur attractivité et répondre aux attentes des salariés s’y établissant, il y a fort à parier que ces villes se développent (continuent de se développer) en suivant le modèle de Ville Intelligente/Smart City : qualité de vie élevée, gestion avisée des ressources naturelles, gouvernance participative… Quitter Paris pour une ville à la qualité de vie bien supérieure, sans pour autant freiner sa carrière professionnelle, ne devrait donc bientôt plus être un privilège.