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by Akoya

Mais qui a tué Virgin Megastore ?

Après s’être déclaré en cessation de paiement le 4 janvier, Virgin Megastore a officiellement déposé le bilan le 9 janvier 2013. Le débat a passionné les foules : outre les 1000 emplois en jeu en France, est-ce l’échec d’un modèle, ou celle d’un secteur culturel en berne depuis des années ? Faut-il invoquer des erreurs d’orientation venant d’un actionnaire, Butler Capital Partners, ayant trop misé sur les jeux vidéo (en 2008 !), ou bien tout mettre sur le compte de la fatalité ? Le sujet est délicat, et nombreux sont ceux qui aujourd’hui cherchent à réécrire l’histoire : « Virgin aurait dû… », « si seulement Virgin avait… »

Je n’ai pas cette prétention. Mais en tant qu’ancien client de Virgin, je connais précisément les trois raisons pour lesquelles je n’allais de toute façon plus chez eux.

1. La musique était devenue secondaire

Les magasins Virgin Megastore sont devenus au fil du temps une boutique non identifiée, sorte d’imposant retail store où l’on vend un peu de tout, depuis la cartouche d’encre jusqu’aux câbles HDMI, en passant par les bandes dessinées. Où l’on vend de tout certes, mais où l’on ne trouve presque rien. En effet, dès que l’on recherche un produit un peu spécialisé, il n’est que très rarement disponible en magasin. Et c’est bien l’immense défaut de la stratégie de Virgin : en essayant (et échouant) de devenir la FNAC, la société a perdu son image mélomane.

Car comme pour beaucoup de gens de ma génération, l’image de Virgin était pour moi indéfectiblement liée à l’univers musical : on y allait pour découvrir au casque les nouveautés, discuter avec les vendeurs, essayer des pianos, rêver devant les Telecaster, prendre un café… Choses que plus personne ne fait aujourd’hui. De plus, les vendeurs ne sont plus équipés pour répondre aux attentes de clients toujours mieux informés. Auparavant, ils avaient aux yeux de beaucoup ce statut d’experts musicaux qu’il ne valait mieux pas affronter au blind test. Et pour cause : de par leur métier, il leur était donné d’écouter un grand nombre de disques gratuitement, chose impossible pour le commun des mortels, les tarifs prohibitifs des CDs faisant alors de la musique une denrée rare et précieuse. Aujourd’hui, avec la multiplication d’offres légales à bas prix et la prolifération du P2P, la musique n’a jamais été aussi accessible, et le public informé. L’expertise a changé de camp,  et les vendeurs de Virgin n’ont toujours pas leurs postes connectés au Net dans le magasin…

2. Les boutiques n’apportaient rien de plus par rapport au numérique

L’un des grands poncifs du débat est l’idée selon laquelle le numérique aurait tué Virgin. (D’ailleurs, ironie de la situation, c’est Virgin qui aurait tué les disquaires de proximité dans les années 90, et se retrouverait en position de victime maintenant).

La réponse est évidemment non. C’est l’immobilisme et la tétanie qui ont occis l’enseigne tel un lapin de garenne pris dans les feux d’un monde numérique lancé à vive allure. Bordelais d’origine, ma référence est évidemment le Virgin de la place Gambetta, et un excellent exemple d’adaptation au monde numérique est la librairie Mollat, située à quelques encablures. Pour les non Bordelais, la libraire Mollat est une institution. Ce n’est pas juste une librairie de province, c’est aussi la plus grande de France. Et c’est aussi sans doute la première à avoir saisi l’opportunité du web quand elle s’est présentée. Non contente de distribuer son catalogue sur le web, elle fédère et anime aussi une communauté de lecteurs sur les réseaux sociaux. Ainsi, comme le rappelle Frédéric Martel « Mollat n’évolue pas contre le Web, mais avec le Web« . Mais au-delà du territoire numérique, le magasin y est un lieu d’échange et de vie sociale. Et c’est sans doute ce qui fait cruellement défaut à Virgin.

L’enseigne Cultura l’a très bien compris en misant sur un espace de loisirs créatifs dense. Cette coloration, cette identité attire une clientèle très spécifique, qui n’est d’ailleurs pas hostile à l’idée de prendre un livre en passant, ou un café dans la boutique. Mais mieux encore : Cultura organise régulièrement des ateliers créatifs à destination des adultes comme des enfants pour attirer et fidéliser toujours plus le chaland.

Toute la difficulté pour Virgin aurait donc été de trouver un domaine dans lequel le numérique ne pouvait pas lui faire de concurrence. Les instruments de musique sont un bon exemple : cet espace est souvent inexistant dans les boutiques, à quelque exceptions près, alors qu’ils devraient être un atout pour la marque. Un autre exemple est le vinyle : même s’il est achetable en ligne, l’amateur de vinyle préférera l’acquérir en boutique. Quelle a été la communication de Virgin sur cet axe ?

 3. La marque avait perdu tout son côté branché

Enfin, Virgin, c’était provocateur, des campagnes de publicité audacieuses, un peu branché car en ville (au contraire de Cultura qui a une stratégie plus périphérique). On pouvait y traîner après les cours, y croiser des artistes. Bref, Virgin, était « cool ».

Mais ne l’est plus. Avec pratiquement aucune stratégie innovante sur la dimension sociale, la marque est tombée un peu en déshérence. La musique comme la lecture, sont des biens culturels qui fédèrent, qui sont par nature des invitations au partage et à l’échange. Or force est de constater que la puissance de Virgin Megastore (attention, pas Virgin Mobile) sur les réseaux sociaux et dans l’événementiel est assez pauvre. Enfin, les produits et services de Virgin n’avaient rien d’innovant. Pas de couplage « concert live + album à télécharger », ou « livre + lecture par l’auteur »…

Quelques idées

A l’heure où de possibles repreneurs se manifestent, comme Patrick Zelnick, patron de Naïve, le but de cet article n’est pas de tirer sur l’ambulance, mais modestement d’avancer  quelques suggestions, toujours sur le point de vue d’un simple consommateur culturel :

– Tout miser sur la musique (et à la rigueur les livres) et capitaliser sur sa marque, mais ne pas être cet objet sans identité que Virgin Megastore est devenu

– Innover dans les services : coupler biens culturel et événements

– Fédérer et animer une communauté : concerts live, dédicaces, mais aussi sessions d’écoutes collectives, débats, etc…

Et pour vous, que représentait Virgin Megastore ?