Perspectives
by Akoya27 août 2015
Quand la DRH déménage
Depuis plusieurs mois fleurissent espaces de coworking, fablab, hackerspace… concepts à priori modernes portés par l’innovation et le digital. En réalité, affublé d’anglicismes trouvés par de bons communicants, le « tiers-lieu » est une notion introduite dans les années 80, par le sociologue américain Ray Oldenburg. Il le désigne comme « un espace ou les individus peuvent se rencontrer, se réunir, et échanger de façon informelle ». Le second chapitre de l’essai du sociologue souligne les huit conditions nécessaires qui caractérisent un tiers lieu : un terrain neutre, un lieu qui nivelle les différences entre les gens, la conversation en est la principale activité, il est accessible et accommodant, des occupants réguliers, un profil bas (on ne fréquente pas ces lieux pour se montrer), une atmosphère ludique, un home-away-from-home (un second chez soi).
Une trentaine d’années plus tard, ces caractéristiques se retrouvent au sein de formidables initiatives portées par de grands groupes tel qu’Orange et sa « Villa Bonne Nouvelle », ou encore « Le Village by Crédit Agricole ». L’objectif ? Répondre aux enjeux de la transformation liée au digital, à l’évolution des business models, aux nouveaux modes de management… en créant des modes de fonctionnement optimaux, dans un cadre favorisant le développement de la qualité sociale et la performance économique.
Et puis, en parallèle, des initiatives « hybrides » se forment. Pas besoin de tiers lieu, mais on garde les notions de lieu accessible et accommodant, des occupants réguliers, des profils bas, l’atmosphère ludique, le second chez soi. C’est le parti pris par ENGIE, qui travaille depuis un an à la création d’un espace de travail dynamique. Appuyé par le témoignage d’Olivier Ghienne, HR performance and forecast Director chez ENGIE, voici les quelques étapes clés d’un projet de transformation réussi.
A l’origine, des réflexions stratégiques
Un projet de transformation n’est un succès que s’il est porté par la direction et compris par l’ensemble des collaborateurs. Il est indispensable que l’initiative réponde aux enjeux stratégiques du groupe. Alors, un projet de création d’un espace de travail dynamique, à quoi cela peut-il bien répondre ?
Il y a un peu plus d’un an, chez ENGIE, Henri Ducré (DRH groupe, COMEX) souhaite amorcer pour la DRH un « projet managérial », permettant d’abord plus de transversalité : casser les silos, et développer un meilleur fonctionnement opérationnel. Finalement, gagner en fluidité et donc en productivité. Ensuite, améliorer le bien-être des collaborateurs, et répondre à leurs attentes (sur la base d’une étude menée en interne) : mieux connaitre les équipes grâce au flex-office, une meilleure communication grâce aux espaces dédiés, être plus responsabilisé grâce à l’autonomie qu’apporte le flex-office, et travailler davantage en mode projet. Enfin, la DRH a un rôle d’exemplarité à tenir : mettre en avant ses capacités d’innovation, montrer qu’elle sait prendre des risques, expérimenter de nouvelles choses…
En combinant ces trois leviers, c’est non seulement l’engagement des collaborateurs qui s’en trouvera renforcé, mais c’est aussi la possibilité de rendre concrètes des mesures prises dans le cadre de la transformation digitale (patience, nos prochains articles développeront cette thématique…).
La mise en place : une transformation douce
C’est donc muni d’une feuille de route précise qu’Olivier Ghienne part à la rencontre des équipes RH. Comment embarquer les 200 collaborateurs concernés par ce projet ? La réponse réside en deux points principaux :
- La co-construction
Nous parlions, plus haut, de la capacité de la DRH à innover. En voici un exemple concret : Les membres du COMEX d’ENGIE n’ont rien tranché, tout a été dessiné par les collaborateurs lors de plusieurs workshops. Ces groupes de travail ont donné lieu à 11 thématiques, traitées lors d’ateliers, ouverts à tous ! Tout y est traité : l’organisation des espaces par quartier et par type d’utilisation, le mobilier, le « parcours » du collaborateur etc.
- Une acculturation au digital
La mise en place de nouveaux espaces et de nouvelles installations impliquent l’intégration de nouveaux process, et la prise en main de nouveaux outils qui impactent aussi bien notre vie personnelle que professionnelle. Dans ce cadre, des initiatives digitales sont mises en place, au sein du nouvel espace détente. Pour exemple, chez ENGIE, des « digi-lunch » sont alors organisés par les collaborateurs : les plus expérimentés enseignent aux moins avertis les best-practice numériques.
Un ROI presque immédiat
Des études d’occupation ont été faites, afin de déterminer les habitudes, les usages des collaborateurs. Elles démontrent qu’en moyenne, 50% du temps du collaborateur est passé ailleurs qu’à son poste de travail. Un taux de partage de 85% a donc été mis en place (85 postes de travail pour 100 personnes).
Résultat, la capacité d’accueil est de 40% supérieure aux autres étages. Le retour sur investissement de ce projet se fera à un an. Le ROI financier, qui, précisons-le, ne faisait pas partie des motivations premières, vient couronner un vrai projet managérial, donnant à la DRH une image moderne, innovante et centrée sur le bien-être des collaborateurs.
Donc en résumé….
Quatre piliers portent ce type de projet de transformation :
- l’immobilier: le design du lieu doit être en totale adéquation avec les besoins et attentes des collaborateurs, d’où l’importance d’opter pour une démarche collaborative ;
- L’informatique: la nécessité de s’équiper d’outils modernes, cohérents avec les équipements que nous maitrisons dans notre environnement personnel, sans oublier la mise en place de chantiers liés à l’utilisation de ces outils dans un contexte professionnel.
- Les comportements: des actions d’accompagnement au changement sont indispensables afin de changer les habitudes, mobiliser les collaborateurs, et obtenir la meilleure adhésion possible.
- La pérennisation de ce qui a été initié : en mettant en place des outils de mesure. Chez Engie, un centre d’observation va permettre, via des capteurs installés dans chaque espace, de définir le taux d’occupation des lieux, afin d’affiner le projet et d’optimiser l’espace au fur et à mesure. Par ailleurs, la mesure de satisfaction des collaborateurs se fera via une enquête, et de façon plus immédiate via des bornes interactives permettant de mesurer « l’humeur du jour ».
Vers la transformation du rôle du manager
Si, nous l’avons vu, le concept de « tiers lieu » et ce qui l’accompagne (plus d’échanges informels, plus de collaboratif, plus d’autonomie etc…) ne date pas d’hier et n’empêche pas la conservation d’un management plutôt vertical, celui « d’espace de travail dynamique » est lui plus moderne, au sens où il s’accompagne de l’intégration des nouvelles technologies et des nouveaux usages associés. Nos organisations tendent alors vers des modèles de management plus souples, plus transparents, demandant plus d’instantanéité, et laissant plus d’autonomie aux collaborateurs.