Home > Perspectives > Akoya décrypte : le quantified-self

Perspectives

by Akoya

Le dernier poisson d’avril de Rue89 [1] a fait tout autant rire que frémir ses lecteurs. Ministres et chefs d’entreprises y étaient dépeints comme addicts aux applications de santé connectée. Ils mesuraient et partageaient – dans un élan de transparence –  leurs résultats sportifs ou composition de leur repas, compensant par ce contrôle l’imprévisibilité des dossiers politiques… S’il s’agissait bien évidemment d’humour, les représentants du personnel de Sanofi ou Schneider Electric ont, eux, ri jaune en apprenant que les badges de leurs collègues seraient équipés de puces RFID pour étudier l’occupation de leurs locaux !

Nous vivons dans un monde connecté, où le partage de nos performances physiques et calories consommées via Facebook ou Google (qui ne se privent pas de les analyser et se laissent la possibilité de s’en servir à des fins commerciales) est tout à fait habituel. En France, les ventes de wearables devraient être multipliées par deux cette année (GFK 2015) [2] et 50% des français achèteraient un objet connecté, dont la moitié liée à la santé.

Qu’est-ce que le quantified-self et quels en sont les usages en entreprise ?

visuel 2Le quantified-self, littéralement traduit par la « quantification de soi », pour évoquer l’enregistrement, l’analyse et le partage de ses données, a donc de beaux jours devant lui, y compris dans la sphère professionnelle. En effet, puisque nous sommes si prompts à partager dans notre vie personnelle, en faire de même avec son employeur n’est qu’une extension logique. L’interfaçage du privé et du professionnel étant de plus en plus fort, la question des données santé au travail est aujourd’hui inéluctable. Alors, comment tirer parti, employés comme employeurs, de ces données ?

L’intérêt est double : d’une part, les salariés ont des attentes de plus en plus élevées en termes de QVT et de bonheur au travail. Les applications qui mesurent le stress, la tension artérielle ou les mauvaises postures squelettiques permettent de ne plus seulement déclarer un mauvais état de santé ou de motivation mais d’en avoir les preuves et la mesure. L’employeur peut prendre conscience du phénomène et agir en conséquence…

… et il y trouve grandement son compte ! Si les entreprises accusent déjà un retard considérable sur le domaine des données professionnelles, Linkedin étant généralement beaucoup mieux renseigné que le SI RH interne, qu’en est-il des données santé ?

Si ce n’est par philanthropie, de nombreuses études prouvent que s’assurer de la bonne santé physique et mentale des collaborateurs constitue bien la première étape vers la maîtrise des coûts certes, mais aussi vers l’engagement et in fine la productivité. Ce constat est d’autant plus vrai dans les entreprises sujettes aux enjeux de pénibilité. En Amérique, le tabou est levé : l’entreprise Aetna incite ses salariés à mieux dormir [3] en les récompensant financièrement s’ils peuvent prouver une série de 20 bonnes nuits de sommeils et une autre leur demande de communiquer leur état de santé pour bénéficier de meilleures primes d’assurance-maladie.

Et pendant ce temps en France ? Pays connus pour ses standards sévères de protection des données, nous voyons les pratiques évoluer mais les enjeux de sécurité et de confidentialité sont de taille ! Haris Interactive (2015) [4] montre que 71% des salariés craignent pour la sécurité de leurs données personnelles, notamment celles liées à la santé de nature privée.  Autant dire que la CNIL est sur le qui-vive et que le métier émergent de DPO (Data Protection Officer) va se généraliser.

Agir, oui mais dans quel cadre légal et avec quel code éthique ?

La Loi Informatique et Libertés protège nos données de santé et la CNIL en interdit la collecte et l’analyse sauf consentement explicite du salarié [5]. Olivier Desviey le dit [6] en ces termes : il faut « placer l’utilisateur d’objets de mesures (…) en situation de contrôle de ses propres données ». Et donc avec un droit de refus. Aux RH donc de s’assurer que le consentement est bien explicite et totalement libre. Quid du salarié qui s’oppose au partage de ses données ? Paraîtra-t-il suspect ? Si l’on se réfère aux précédents, c’est probable : Orien Energy Systems aux USA, condamnée depuis [7], a licencié un salarié pour refus de participation au programme de quantified-self en cours.

Comment rassurer les collaborateurs ? Quel cadre de gouvernance numérique et éthique peut-on mettre en place ?

De nombreuses voix s’élèvent en faveur de la présence d’un tiers indépendant, recueillant les données qu’il agrège et anonymise pour fournir des statistiques non reliées aux identités digitales personnelles.  Associer le DSI à ce processus est une première étape. Par ailleurs, la construction par les RH d’une charte éthique claire et diffusée à l’ensemble de l’entreprise permet de tracer une ligne claire entre ce que l’on peut exploiter professionnellement et ce qui doit rester dans la sphère privée.

RH : à vous de compter !

De nombreuses startups et entreprises vous permettent aujourd’hui de collecter et d’analyser les données de vos collaborateurs. Wittyfit restitue, sur la base d’une déclaration anonyme des données sur le niveau de forme physique et de bien-être psychologique. Humanyze et Withings ont lancé des offres B2B pour permettre aux entreprises de lancer des programmes, souvent ludiques, de quantified self.

Alors, une fois que vous aurez fait votre choix, comment instaurer et rendre attractif le quantified-self chez vous ?

  1. Acculturez vos collaborateurs et communiquez !

L’inquiétude est forte et la capacité d’adaptation et d’acceptation des programmes de quantified self n’est pas la même pour tous. Notre expérience montre que le meilleur moyen d’acculturer vos employés aux quantified self est de tester, en pilote, le programme sur une population déjà sensibilisée puis de communiquer très régulièrement et de façon très transparente sur le déroulé du pilote et sur les résultats, afin d’embarquer le plus grand nombre et de faciliter la généralisation.

  1. Munissez-vous d’un tiers de confiance !

Faites auditer et labelliser vos processus (SI et RH) : vos collaborateurs seront rassurés sur la bonne exploitation de leurs données. Des labels qui attestent du bon niveau de sécurité informatiques des logiciels existent déjà : imaginons un « ethic label », délivré par des auditeurs indépendants, et la nomination de déontologue au sein des entreprises pour s’assurer de la bonne utilisation de « l’employee data ».

  1. Soyez acteurs du plan d’action en réponse aux enjeux identifiés !

On ne répond pas au stress ou au désengagement de la même façon pour toutes les populations. Une connaissance fine de vos collaborateurs vous permettra de proposer un plan d’action accordé à la culture de votre entreprise. Appuyez-vous sur les collaborateurs actifs dans les programmes de quantified-self pour imager une organisation professionnelle plus adaptée !

  1. Restez connectés au terrain !

Plusieurs recherches ont prouvé que la transparence (des parcours possibles, des salaires, des agendas…) était bénéfique pour la société et la motivation des employés. Néanmoins, d’autres affirment qu’une surveillance constante est contre-productive, brisant le contrat de confiance existant entre salariés et management et limitant la prise d’initiative et la créativité.  Il s’agit donc d’encourager le partage de données lorsque le contexte social fait du quantified-self un facteur d’émulation, c’est-à-dire, quand la confiance règne…

Bonus : Mieux comprendre le quantified-spécimen

 

Sources

[1] http://rue89.nouvelobs.com/2016/04/01/folie-quantified-self-manuel-valls-poisson-davril-2016-263644

[2] http://www.gfk.com/insights/press-release/le-marche-mondial-du-wearable-va-plus-que-doubler-en-2015/

[3] http://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/021834184273-etats-unis-des-salaries-mieux-payes-sils-dorment-bien-la-nuit-1213277.php

[4] http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2015/02/Rapport-Synth%C3%A8se-de-la-3%C3%A8me-vague-de-lObservatoire-des-Objets-Connect%C3%A9s-Harris-Interactive-EBG1.pdf

[5] https://www.cnil.fr/sites/default/files/typo/document/CNIL_CAHIERS_IP2_WEB.pdf

[6] http://www.arte.tv/magazine/futuremag/fr/olivier-desbiey-cnil-fournir-ses-donnees-auto-mesurees-une-assurance-est-comparable-ouvrir-une-boite

[7] http://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/quantified-self-au-travail-quand-le-salarie-est-piste-par-son-employeur-30287/