Nathalie Tiberghien : « Les RH doivent produire une performance people, en plus d’une performance profit et planète »
Voici notre quatrième édition de « L’humain en entreprise vu par… », une série d’interviews qui donne la parole à celles et ceux pour qui les ressources sont avant tout humaines. Qu’ils soient RH, managers, dirigeants d’entreprise ou chercheurs, tous nous partagent leur vision du monde du travail et de ses transformations.
Cette fois, c’est avec Nathalie Tiberghien, Data & Digital HR Officer chez Decathlon que nous avons eu le plaisir d’échanger. Elle nous raconte son parcours au sein des RH, et partage son point de vue sur l’évolution de la fonction et les problématiques humaines que rencontrent aujourd’hui les entreprises.
Nathalie Tiberghien
Data & Digital HR Officer, Decathlon
Quelle est votre relation avec les RH, et quel est votre parcours professionnel ?
Je travaille chez Decathlon depuis 29 ans. J’ai d’abord travaillé comme manager sur le terrain, c’est-à-dire dans les magasins, et j’ai intégré il y a plus de 20 ans la filière Ressources Humaines. En tant que RH de proximité, j’ai développé une appétence forte pour tout ce qui tourne autour du management, du développement et de la responsabilité des équipes, et me suis particulièrement intéressée aux soft skills.
J’ai une deuxième appétence qui consiste à documenter, mais aussi à rendre plus clairs les politiques humaines, les outils et les méthodes, afin que les enjeux du développement du Capital Humain soient accessibles au plus grand nombre.
Aujourd’hui, je suis Data & Digital HR advisor, je pilote un projet de people data et de digitalisation des processus RH et de l’expérience collaborateur.
De votre point de vue, quelles problématiques humaines rencontre actuellement l’entreprise ? L’humain est-il suffisamment pris en compte ?
Les RH doivent savoir composer avec une certaine complexité. Nous devons jongler avec trois considérations temporelles : celle du passé de l’entreprise (sa culture, son histoire, ses rituels, …), celle des affaires courantes court terme (recruter des talents, former, gérer les crises, mettre en place le télétravail, …) et celle de la préparation de l’avenir avec ses multiples transformations à opérer (transformation du business model, du digital, des compétences, transformation managériale, …). C’est un vrai défi que de gérer les problématiques court terme, et d’être en même temps tourné vers l’avenir.
Ce qui nous aide chez Decathlon, c’est que l’humain est au cœur de tous les projets. Depuis sa création en 1976, le PDG fondateur a véhiculé cette vision. Notre philosophie est de croire en l’Homme et en sa capacité à se développer et à prendre ses responsabilités. Cette vision se traduit à travers de nombreux exemples, comme le fait qu’un manager n’accompagne pas plus de 10 à 15 collaborateurs pour être au plus proche d’eux, le fait que l’on investisse beaucoup chez Decathlon dans les formations pour permettre à chacun de monter en compétence, ou encore le fait que chaque collaborateur soit accompagné sur une mission individuelle.
De même, nous mesurons depuis 20 ans le même indicateur clé : celui d’avoir du plaisir à venir au travail chaque matin. Cette mesure est considérée au même titre qu’un KPI économique.
Enfin, nous encourageons chez Decathlon l’autonomie et la prise d’initiative sur le terrain, chacun étant amené à se comporter comme un mini-entrepreneur. Cela fonctionne lorsqu’il y a une vision, des projets, des cadres de travail clairs et un langage commun, et que tous ces éléments sont bien alignés les uns avec les autres.
Nous mesurons depuis 20 ans le même indicateur clé : celui d'avoir du plaisir à venir au travail chaque matin. Cette mesure est considérée au même titre qu’un KPI économique.
Quelle est votre vision des RH aujourd’hui ?
C’est un métier incroyablement riche, je ne m’ennuie jamais. Notre métier est de prendre soin et de développer le capital humain (au même titre que l’on parle de capital santé, de capital financier ou de capital naturel). Le Capital Humain, c’est le plus grand asset d’une entreprise : il faut le faire grandir, le sublimer. On prend ainsi le temps avec les managers, lors de leur onboarding, de leur transmettre cette responsabilité.
Si ce métier est riche, c’est tout d’abord parce que c’est un métier humain, créateur de liens. Ensuite, c’est parce qu’il présente de nombreuses dualités. Dans certains cas, il faut preuve d’une très grande rationalité, et dans d’autres, d’une très grande empathie. Il faut donc savoir laisser ses équipes ou le manager prendre une décision mais aussi prendre la main lorsque cela est nécessaire (même si cette dernière option doit être la moins fréquente possible).
Quelles seront les prochaines évolutions de la fonction RH ?
L’entreprise doit avoir en son sein trois grands rôles de RH : des RH stratèges qui donnent le cap, ont une vue d’ensemble, définissent avec les dirigeants les valeurs d’entreprise et créent les conditions pour que toute la filière RH se développe ; des RH experts de processus pour aiguiller sur les sujets pointus, et des RH de proximité qui accompagnent les équipes sur le terrain.
Il est selon moi essentiel que les RH se forgent des convictions et montrent que cette fonction crée de la valeur. Nous ne sommes pas une fonction qui est uniquement au service du business et des autres, ce n’est pas suffisant. Nous devons produire en complément d’une performance « profit » et « planet », une performance « people ».
Il est de notre responsabilité de démontrer la valeur des actions RH avec des preuves tangibles, grâce à la data notamment. Depuis un peu plus de 1 an, nous avons mis en place un vrai projet people data chez Decathlon, c’est un changement de mindset pour nous tous. Et ce dernier est particulièrement en oeuvre auprès des managers qui sollicitent davantage d’accompagnement que dans le passé car les problématiques sont devenues complexes (télétravail, upskilling, recrutement de hauts talents, diversité et inclusion, etc.).
Le Capital Humain, c’est le plus grand asset d’une entreprise : il faut le faire grandir, le sublimer.
Quelles compétences les RH vont-elles devoir développer demain ?
Selon moi, le RH de demain devra très bien se connaître, connaître ses valeurs, ses croyances limitantes et ses ressources. Il devra être en capacité de gérer ses émotions, son énergie, et faire preuve d’une bonne assertivité personnelle car nous devons parfois gérer des situations humaines difficiles. Le RH doit en ce sens développer de bonnes capacités relationnelles, que ce soit avec les équipes terrain, les équipes de direction, les partenaires sociaux. L’écoute active, le questionnement, l’intelligence collective sont des compétences clés. Nous avons en effet beaucoup investi ces dernières années en formation et en développement personnel pour l’ensemble des collaborateurs. Notre fonction requiert donc d’être bon pédagogue et de savoir expliquer simplement des choses qui ne le sont pas forcément.
Enfin, nous devons, en tant que RH, développer de plus en plus de sens tactique et stratégique. Les environnements dans lesquels nous évoluons étant complexes, cela requiert du discernement et une plus grande analyse des situations et des enjeux.
Selon vous, quel est l’enjeu RH de demain ?
L’enjeu est de réussir à développer et à partager le savoir, le pouvoir et l’avoir au sein de l’entreprise, et d’aller encore au-delà à chaque fois que c’est possible.
Le partage du savoir, c’est le partage des connaissances, des compétences. Les entreprises n’ont pas d’autre choix que d’investir dans la montée en compétences de tous. Ma conviction est que l’entreprise doit en particulier investir dans le développement des soft skills qui sont un socle fondamental pour toute la vie professionnelle et personnelle. Mieux, elles sont clés pour l’apprentissage des compétences techniques. Chez Decathlon, nous sommes actuellement en train de remodeler notre projet « Human Skills » dont les prémices remonte à 20 ans.
Le partage du pouvoir, c’est le partage de la responsabilité. C’est mettre en place un modèle managérial basé sur la confiance, la responsabilité individuelle et collective, dont l’objectif est d’encourager chacun à prendre des initiatives et des décisions sur le terrain.C’est un vrai choix que d’accepter de confier une responsabilité pleine et entière à quelqu’un, à un service ou une filiale.
Et enfin, le partage de l’avoir, c’est le partage équitable des richesses créées ensemble, au travers d’une politique juste de rémunération.
Pour terminer, j’aimerai ajouter que j’apprécie particulièrement l’idée de prendre soin du capital humain à travers mon métier de RH. Si les coéquipiers ont du plaisir à travailler, s’ils ont confiance en eux, en l’entreprise, alors nous pourrons construire des projets où l’on se sent utile pour les autres et notre planète.