Perspectives
by Akoya25 mai 2021
Pierre-Yves Gomez : « Il faut revenir au basique : c’est le travail humain qui crée la valeur économique. »
Voici notre troisième édition de « L’humain en entreprise vu par… », une série d’interviews qui donne la parole à celles et ceux pour qui les ressources sont avant tout humaines. Qu’ils soient RH, managers, dirigeants d’entreprise ou chercheurs, tous nous partagent leur vision du monde du travail et de ses transformations.
A cette occasion, nous avons eu le plaisir d’interroger Pierre-Yves Gomez, économiste, professeur à l’emlyon business school et directeur de l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises. Il nous raconte son parcours et partage son point de vue sur l’évolution du rôle des RH et la place de l’humain dans les transformations en entreprise.
Economiste, professeur à l’emlyon et directeur de l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises
Pouvez-vous nous raconter votre parcours, votre expérience en entreprise et en tant que Professeur de l’emlyon ? Pourquoi y avoir fondé l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises ?
Je suis économiste, docteur en gestion. J’ai d’abord travaillé dans une délégation chargée du développement social des quartiers en difficulté puis j’ai créé une entreprise de conseil pour aider les entrepreneurs qui n’avaient pas les bons réseaux.
En 1989, je suis devenu enseignant-chercheur à emlyon où j’ai fait toute ma carrière. Après un séjour à la London Business School et à Harvard, j’ai créé l’IFGE à mon retour en France en 2003 pour développer une recherche sur les entreprises qui ne soit pas alignée sur les modes et les modèles anglo-saxons.
Je suis d’autre part administrateur et conseil auprès de directions de sociétés.
Aujourd’hui, de votre point de vue, quelles sont les problématiques humaines que rencontre l’entreprise ? L’humain est-il suffisamment pris en compte, notamment dans les transformations ?
Je constate que lorsque les managers prennent en considération l’humain, c’est parce qu’ils ont des valeurs ou une sensibilité qui les conduit à le faire.
Les outils de gestion qu’ils utilisent, eux, prennent en compte les compétences, les carrières, les performances ou les trajectoires mais pas les personnes pour elles-mêmes, selon leur singularité ou leur situation du moment. On peut dire que cela est inhérent à la division et donc à une forme de standardisation du travail. Les travailleurs disparaissent derrière les rôles qu’ils ont à jouer et qui sont prescrits, cela concerne les managers eux-mêmes.
C’est quoi, selon vous, l’enjeu humain de demain dans les entreprises ?
J’en vois deux. Le premier est de considérer que ce qui peut être pathologique dans les relations de travail doit être traité sérieusement. On n’acceptera plus que des personnes soient exposées à des comportements toxiques qu’ils émanent de leurs supérieurs, de leurs collègues ou de leurs subordonnés. Ces comportements doivent être exclus au nom de la justice organisationnelle.
Le deuxième enjeu est celui du management par le travail réel, c’est-à-dire à partir de la réalité que vivent les humains dans leurs activités de travail et non à partir d’injonctions prescrites hiérarchiquement mais sans lien avec le concret.
Quelle est votre vision des RH aujourd’hui ? Quel regard portez-vous sur la fonction ?
Dans les années 1980, les RH se sont laissés enfermer dans une fonction support et réduite à la gestion juridique du travail. Dans les années 2000, elles ont dû s’aligner sur les exigences financières et sur la culture de la performance en déployant des outils qui ont standardisé les relations humaines.
Depuis les années 2010, elles se sont beaucoup agitées sur les « hauts potentiels » et de manière générale sur l’élite au travail au nom d’un supposé déficit d’attractivité de ces talents qu’il fallait combler. Ce faisant, elles ont participé selon moi au creusement des inégalités sociales qui rongent nos sociétés.
Quelles seront, selon vous, les prochaines évolutions de la fonction RH ? Quelle compétence devra-t-elle notamment développer ?
Il faut revenir au basique : c’est le travail humain qui crée la valeur économique.
La gestion RH doit redevenir centrale dans les stratégies d’entreprise certes pour attirer, développer les compétences mais surtout pour créer des communautés de travail. Car ce qui fait et fera la différence entre les entreprises, ce n’est pas seulement les savoir-faire ou les innovations. C’est d’abord cette force qui vient de la solidarité des hommes et des femmes qui travaillent pour un objectif qui a du sens. Et plus que de ressources, c’est de cette énergie humaine dont les RH devront se sentir responsables.